28 juillet 2014

Tout ce qu’on ne sait pas…

Un des dictons préférés des manipulateurs est : «ce qu’on ne sait pas, ne fait pas de mal». Vraiment?

«Savoir ce que tout le monde sait, c’est ne rien savoir. La savoir commence là où commence ce que le monde ignore.» ~ Rémy de Gourmont

Il est évident que la plupart des gens ne se posent pas de question sur l’envers du décor de la production de viande, d’autres ne veulent pas le savoir (bien que ce soit plus difficile maintenant), tandis que d’autres sont indifférents. Il faut dire que le conditionnement pro-viande est aussi intensif que l’élevage… Par ailleurs, une nouvelle idéologie vient soutenir ce conditionnement : le régime Paléo (voyez l’article «Viande, santé, environnement»). 


Il ne s’agit pas de se culpabiliser, mais d’ouvrir les yeux – quand on sait, on peut choisir. Cela fait partie de l’exercice d’apprendre à penser et ressentir par soi-même. La psychologue Melanie Joy a publié un ouvrage sur l’aspect psychosocial de l’alimentation carnée :

Why We Love Dogs, Eat Pigs, and Wear Cows:
An Introduction to Carnism

Les rédacteurs du site Cahiers Antispécistes en ont traduit/résumé des passages.
Chapitre 1 : http://www.cahiers-antispecistes.org/spip.php?article399
Résumé des chapitres 2, 5, 6, 7 :
http://www.cahiers-antispecistes.org/spip.php?article400

[Extraits] 

Carnisme, idéologie et violence

Le carnisme est une idéologie qui travaille activement à demeurer dans l’ombre. Cela lui est nécessaire parce qu’elle fait partie des idéologies violentes : elle repose sur la violence physique exercée à grande échelle. 
       Lorsque les gens sont témoins de cette violence, ils en sont psychologiquement affectés. C’est ce qu’observe Melanie Joy quand elle projette à ses étudiants des films sur la production de viande. Elle a par ailleurs travaillé avec de nombreux militants végétariens de la cause animale souffrant de désordres post-traumatiques suite à une longue exposition à des chaînes d’abattage : ils ont des pensées obsessionnelles, des cauchemars, des insomnies, et autres symptômes. 
       En général, les gens détestent voir souffrir les animaux, même quand ils ne sont pas des «amis des bêtes». Nous sommes touchés par ce qui arrive à d’autres êtres sentients. C’est pourquoi les idéologies violentes ont des dispositifs de défense spéciaux qui permettent aux êtres humains de soutenir des pratiques inhumaines, sans même réaliser ce qu’ils font. L’invisibilité sociale et psychologique en fait partie. Mais il faut aussi que la violence soit physiquement invisible. On élève et tue des milliards d’animaux; mais avez-vous déjà vu ne serait-ce qu’un chaînon du processus de production de la viande?

Mythologie de la viande et légitimation du carnisme

Voici une scène observée devant un petit enclos d’animaux de ferme (cochons, vaches, poulets) situé à l’extérieur d’un magasin d’alimentation. Des enfants et leurs parents sont collés aux grilles. Ils regardent affectueusement les poussins et porcelets, sourient, cherchent à toucher les animaux, leur offrent de la nourriture. Ces mêmes personnes vont ensuite acheter du poulet, du jambon et du bœuf. Où est passée leur empathie? 
       Pour consommer la chair d’animaux que nous caressons, nous devons être si pleinement convaincus qu’il est juste de manger de la viande que cela nous évite d’avoir conscience de ce que nous faisons. Le carnisme repose sur l’idéologie des «3 N» : manger de la viande est normal, naturel, nécessaire. Il est semblable en cela à tous les systèmes violents bâtis sur l’exploitation d’une catégorie d’individus. Les 3 N sont si enracinés dans notre conscience sociale qu’ils guident nos actions sans que nous ayons à y penser. 
        Nous vivons dans un environnement qui nous conduit à accepter les mythes qui soutiennent le système carniste et à ignorer les incohérences qu’ils contiennent. Mais maintenir la cécité sur la vérité et rendre inopérante notre faculté d’empathie demande de l’énergie. C’est là qu’interviennent les institutions en tant que «faiseurs de mythes». En réalité, elles ne créent pas les mythes de toutes pièces – ils sont présents dans notre culture depuis des millénaires – mais elles les entretiennent, les renouvellent et les renforcent. Les mythes ont pour fonction de légitimer le système.

Le soutien des institutions

Quand un système est solidement établi, il est soutenu par toutes les grandes institutions sociales, de la médecine à l’éducation. Et qui est mieux à même de nous influencer que ceux en qui nous avons appris à placer notre confiance?  
       Les professionnels jouent un rôle clé dans le soutien des idéologies violentes. On peut citer l’exemple de l’Association vétérinaire américaine (AVMA) qui a donné son aval à l’enfermement des truies gestantes dans des stalles si étroites qu’elles ne peuvent même pas se retourner. En matière de végétarisme, nombre de médecins mettent en garde contre les dangers qui nous guettent si nous nous passons de viande, malgré la masse d’études indiquant que les végétariens se portent plutôt mieux que les omnivores. Le végétarisme chez les jeunes femmes est volontiers présenté comme le symptôme d’une tendance à l’anorexie. 
       Les professionnels entretiennent aussi le dogme carniste quand ils se présentent comme les tenants d’une position raisonnable et modérée. Ils crédibilisent le système en endossant son idéologie, tout en dénonçant certains de ses excès. C’est le cas par exemple des vétérinaires qui s’opposent à certaines pratiques de l’élevage industriel, tout en consommant régulièrement de la viande. La position «modérée» des professionnels fait apparaître ceux qui contestent le système comme des extrémistes irrationnels. 
       Pour la plupart, ces professionnels ne cherchent pas consciemment à soutenir une idéologie. Ils ont été élevés dans le système et leur façon de voir les choses est modelée par celui-ci. Il en va différemment pour d’autres propagateurs des mythes carnistes, qui eux agissent de façon délibérée pour servir les intérêts de l’agrobusiness. 
       On peut citer l’exemple du partenariat entre le Conseil national des produits laitiers et l’Association américaine de diététique (l’ADA regroupe les professionnels de la nutrition). L’interprofession du secteur laitier sponsorise l’ADA dans le but de favoriser de sa part des recommandations telles que la consommation de trois produits laitiers par jour. 
       Tout ce qui est conforme au système est entériné par la loi et présenté comme éthique et raisonnable. 
       Les médias jouent un rôle déterminant à cet égard. Ils assurent l’invisibilité du système par omission. Aux États-Unis, on abat 10 milliards d’animaux par an. Qui en entend parler? Comparez le nombre d’articles et émissions consacrés aux abattoirs ou à la maltraitance dans les élevages, à la place dévolue à une hausse du prix de l’essence ou à la vie des stars d’Hollywood. 
       Plus rarement, les médias recourent à la censure. Ainsi, en 2004, la chaîne CBS refusa de passer un spot publicitaire anti-viande de PETA pendant le Super Bowl, arguant que la chaîne ne diffusait pas de messages militants. Pourtant, à la même période, elle diffusa des spots anti-tabac et, comme à l’accoutumé, des publicités pour des produits carnés. Lorsque les horreurs de la production de viande sont évoquées dans les médias, elles sont volontiers présentées comme des exceptions propres à tel élevage ou abattoir, et non comme la règle. Des nutritionnistes vous recommandent de manger de la viande, tout en marquant leur caractère «raisonnable et modéré» en ajoutant, par exemple, qu’il faut préférer les viandes maigres aux viandes grasses. A l’approche de Noël, on diffuse des émissions culinaires sur la façon de cuisiner la dinde, etc.

Manger de la viande est normal

Les normes ne sont pas qu’une description des pratiques majoritaires. Elles sont des prescriptions sur la manière dont on doit se comporter. Elles ne sont pas innées mais construites, et servent à nous maintenir dans le rang de façon à ce que le système demeure intact. 
       Le chemin de la norme est celui de la moindre résistance. Nous le suivons quand nous sommes en pilotage automatique, sans nous rendre compte que nous agissons d’une manière que nous n’avons pas consciemment choisie. 
       Il est beaucoup plus facile de se conformer à la norme que de la contrer. Les aliments carnés sont facilement disponibles alors qu’on ne trouve pas partout des menus sans produits animaux. Les végétariens se trouvent souvent obligés de justifier leurs choix, ou de s’excuser du dérangement causé parce qu’ils ne mangent pas comme les autres. Ils sont fréquemment caricaturés ou tournés en ridicule.

Manger de la viande est naturel

Il est vrai que depuis deux millions d’années, les humains consomment de la viande (même si la plupart du temps, les végétaux ont largement prédominé dans leur alimentation). Mais le viol et l’infanticide ont été pratiqués depuis tout aussi longtemps, et pourtant nous les jugeons immoraux et n’invoquons pas leur caractère naturel pour les justifier. La naturalisation est le processus par lequel le «naturel» se transforme en «légitime». Quand une idéologie est naturalisée, on croit que ses principes sont en accord avec les lois de la nature et/ou de Dieu. La science, la religion et l’histoire viennent alors au secours de l’idéologie dominante. La science lui fournit un fondement biologique. La religion confère un fondement divin à l’ordre qu’elle prescrit. Et l’histoire privilégie les «faits» tendant à prouver que cette idéologie a toujours existé.

Manger de la viande est nécessaire

Cette croyance donne au carnisme l’apparence d’un état de fait inévitable : l’abolir équivaudrait au suicide. Une croyance voisine est celle selon laquelle la viande serait nécessaire pour jouir d’une bonne santé. 
       La «nécessité» prend parfois d’autres visages que celui des besoins alimentaires. C’est ainsi qu’on entend dire que nous devons continuer à manger des animaux parce que sinon la Terre serait surpeuplée de vaches, poules et cochons dont on ne saurait que faire. (Un paradoxe central de toutes les idéologies violentes est que la tuerie doit continuer pour justifier tous les massacres déjà perpétrés.) On invoque aussi la nécessité économique : on défend le statu quo en arguant que l’économie s’effondrerait si on le mettait en cause.

Le mythe du libre-arbitre

Les idéologies violentes ont besoin de notre participation volontaire. Or, la plupart des gens ne veulent pas faire de mal aux animaux. Il faut donc les forcer à soutenir le système. Mais la coercition ne fonctionne que tant qu’on ne la perçoit pas. Il faut que nous croyions au mythe du libre-arbitre : nous consommons des animaux parce que nous le voulons. Et le fait est que nous le faisons sans que personne ne nous pointe un pistolet sur la tempe. Ce n’est pas nécessaire. Nous avons commencé à manger de la viande avant même de savoir parler. Depuis, notre plus jeune âge, nous avons entendu nos parents et les médecins dire que nous avions besoin de viande pour grandir et devenir forts. Elle a été de tous nos repas; elle est associée à nos souvenirs de sorties au restaurant avec nos parents, aux menus traditionnels de fête; nous en mangeons en toute occasion sans nous demander comment elle a été produite. Sa présence nous semble une évidence. C’est ce flux d’expérience ininterrompu qui lessive notre libre-arbitre. Si quelque chose vient perturber notre rapport habituel à la viande – nous entrevoyons des images d’abattoir par exemple – nous sommes pris dans le filet très élaboré de défense du carnisme, qui nous ramène en douceur dans le rang. 
       Il est impossible d’exercer son libre-arbitre tant qu’on est à l’intérieur du système, parce que nos modèles de pensée profonds sont inconscients. Ils échappent à notre contrôle. Nous devons nous écarter du système pour recouvrer notre empathie perdue et pour faire des choix en accord avec ce que nous sentons et pensons vraiment, plutôt qu’avec ce qu’on nous a appris à éprouver et à croire.

Site de l’auteur : www.carnism.com
Ne ratez pas la vidéo en page d’accueil : l’hôte annonce à ses invités qu’ils sont en train de manger du chien…

Gene Baur, Farm Sanctuary
http://www.farmsanctuary.org/

Des rescapés de fermes et/ou d’abattoirs (non destinés à la consommation) – vivre et laisser vivre, réjouissant de voir ça!



Autres liens :

http://vimeo.com/35577112

http://gentleworld.org/

http://www.30millionsdamis.fr/

http://lesanimauxnesontpasdeschoses.ca/

Aucun commentaire:

Publier un commentaire